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Newsletter psy et tragicomédie

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Par Andrea L.
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Hors cadre

Les psys et les autres

Quand j'ai revu la psy de mon enfance il y a quelques semaines, elle a évoqué le jour où elle était venue voir ma pièce de théâtre en terminale.

On jouait La poche Parmentier de Georges Perec, et ironie du sort, il y avait une scène où j’étais allongée sur un divan et me confiais à un ersatz de psy :
« J’ai fait un rêve une nuit… cela se passait dans une pièce presque pareille à celle-ci, d’abord j’avais l’impression d’y être seule… mais bientôt je m’apercevais que vous étiez non loin de moi, juste derrière moi… »est-ce que je pensais à elle sur scène ?

J’en avais bizarrement aucun souvenir, et je me suis demandé comment, à l’époque, j’avais bien pu lui proposer de venir.
L’imaginer là, dans ma vie près de mes proches, vingt ans plus tard ça m’a horrifiée.
Il y a peut-être des psys qui font ça et qui ont des bonnes raisons de le faire. Ça me paraît quand même une drôle d’idée. Niveau psy je suis assez tradi.

Imaginer mes psys hors de leurs cabinets c’est un grand fantasme (pour tout le monde ?). Pourtant quand ça arrive pour de vrai, dans le réel, quand on les croise par hasard dans la rue ou au supermarché (comment ça elle mange des surgelés ?), c’est toujours décevant.
Les voir comme des personnes banales finalement. Insupportable surgissement.
Est-ce que ça fait partie du travail ou est-ce que ça le met à mal ?

Celle que j’imagine le plus hors de son cadre, vous le savez maintenant si vous me suivez depuis quelque temps, c’est ma gynéco.

Alors quand elle m’a conseillé d’aller voir quelqu’un pour parler de la mort de mon père et de mon désir d’enfant, quand elle a ajouté « si tu veux ma meilleure amie Aline est super, je te donne son numéro », j’ai pas pu résister, prête à tout pour lui plaire (même accoucher sans péridurale -deux fois-).

Oui elle appelait une psy par son prénom et pour moi c’était déjà une transgression, oui j’aurais dû me dire que c’était pas super réglo, mais que voulez-vous je l’aime trop.
Il y a cinq ans c’était pas encore tout à fait conscient, aujourd’hui je me dis que dès le début, aller voir son amie c’était une manière de rentrer dans sa vie.

Ça partait mal cette histoire, disons plutôt bancal.
Au premier rendez-vous, classique, qu’est-ce qui vous amène ici ? (Faites-moi penser à écrire une newsletter sur les premiers rendez-vous.)
Réponse efficace : obsession désir d’enfant vs mort du père, blabla. Assez vite je lui parle de la gy. Je dis quelque chose comme « je crois que je fais un gros transfert sur Dr Gy. Je pense tout le temps à elle ».
Je cherche une réaction dans ses yeux. Je vois rien.
J’ajoute : « J’ai peur que vous lui racontiez ce que je vous dis. Après tout c’est votre amie, moi je dis tout à mes amies ».
Elle reste silencieuse, elle touche ses cheveux, je sens qu’elle cherche ses mots. Pas sûre d’elle, elle finit par sortir : « vous savez il y a le secret professionnel… et puis vous n’avez aucun contrôle sur tout ça mieux vaut ne pas y penser. »
Elle a pas été capable de nier. Elle aurait pu mentir pour me rassurer, mais non elle l’a pas fait.
J’aurais jamais dû revenir, pourquoi j’ai continué ?

À partir de là, je lui disais tout ce que j’avais envie qu’elle répète potentiellement à ma gynéco. Non seulement je voulais qu'elle(s) m'aime(nt), mais en plus ma future maternité dépendait d'elle(s).
Je les imaginais souvent à l’apéro riant à gorges déployées champagne dans le gosier :
« c’est quoi encore cette grosse névrosée que tu m’as envoyée éclat de rire et elle veut être mère, pauvres gosses ! » 
Bref, un travail thérapeutique quelque peu biaisé.
Cadre perméable - extérieur intérieur tout mélangé. Risqué.

Devant la psy mon rôle de composition était assez compliqué, le projet c’était de montrer à quel point j’étais équilibrée. En plus ma gynéco c’est une femme triathlon, genre hyper active qui fonce sans se poser de questions, aller mal pas le time à quoi bon.
Pour elle je me la jouais solide et forte (quand même pas sportive), jambes croisées femme fatale qui en a vu d’autres, à se demander ce que je faisais là.
« J’ai lu votre nouveau livre, bravo passionnant ! »
Surtout fais bien l’adulte, pleurniche pas comme une enfant devant sa maman (d’ailleurs je vous ai dit que la fille de ma gynéco portait le même prénom que moi ?)

Pendant deux ans je brasse de l’air, je finis par disparaître vers avril 22, lassée par cette psychothérapie fictionnelle et énervée par une étrange histoire d’argent, j’y reviendrai. En la quittant je suis en colère.
Enceinte de mon deuxième enfant je vois régulièrement ma gynéco. Est-ce qu'elle sait que j'ai ghosté sa meilleure amie ? Est-ce qu'elle va me le faire payer ? 

Figurez-vous que ces deux-là ont failli ruiner mon accouchement.
Lundi 6 juin 22 au soir, jour férié, ma gynéco m’a prévenue « n’accouche pas ce week-end je pars à la campagne ! »
J’obéis évidemment, le travail commence quand elle pose le pied à Paris.
21h, contraction toutes les 45 secondes, à l’aise, on l’appelle, pas de réponse.
Je respire je reste calme, minutes interminables. Elle rappelle enfin depuis un autre numéro : c’est le téléphone de mon fils j’ai plus de batterie !
Tout va bien.

Quand elle arrive à la maternité (magnifique dans sa tenue de campagne chic et décontractée), elle me balance l’air de rien : j’étais en voiture avec Aline on rentrait de week-end j’ai votre message et là plus de batterie je lui dis que t’accouches elle me dit ben attends moi je l’ai le numéro d’Andrea - heureusement qu’elle était là ! 

Souffle souffle je veux pas entendre ça pourquoi elle me parle d’elle maintenant ? 
Douleur concentration je suis à combien ?
Ma psy dans ma salle d’accouchement mais non hors de question
c’est sa meuf ou quoi elles partent en week-end ensemble pourquoi pas avec moi
Sept seulement sept douleur super c’était bien la compagne ? La quoi ?
Horrible si c’est sa meuf respire respire elles doivent vraiment tout se dire
Stop pense au bébé pense au bébé
On peut changer de musique la baignoire oui c'est bien un peu plus d’eau chaude c'est quoi ce truc qui flotte dégueu gênant gênant elle va lui raconter fait chier

Aperçu non exhaustif de tout ce qui me passe par la tête à ce moment-là, ne me remerciez pas.
Heureusement mon bébé est arrivée ça a tout emporté.

En venant me voir au théâtre ma psy est certes sortie de son cabinet, mais est-elle vraiment sortie de son cadre ?
Deux espaces bien délimités, elle l’espace noir de la salle, moi celui éclairé de la scène, et le quatrième mur pour nous séparer. 
Elle au moins, elle savait qu’elle était en train de me regarder jouer

D’ailleurs, je me suis souvenu qu’à la fin du spectacle un ami m’a demandé : c’était qui la vieille dame à qui tu parlais ? 
Ma mamie, je lui ai dit. C'était presque vrai.

On va s’arrêter là pour aujourd’hui,
On se revoit dans trois semaines (oui c'est déjà les vacances scolaires) ?

Andrea

Psychologie de comptoir

(*Je ne suis pas psy ! Si ces sujets vous intéressent, je vous invite à creuser.)

1Le cadre thérapeutique 

Voici un article hyper intéressant, Le cadre thérapeutique à l'épreuve de la réalité de M.Martin. Il invite à s'interroger sur la nécessaire souplesse du cadre, et à dépasser la rigidité du cadre analytique classique (sans pour autant inviter sa psy à son accouchement). 

«  Le cadre analytique classique est défini par des critères précis :
1- fréquence, durée, localisation de l’intervention ;
2. position des personnes (setting) ;
3. rapport contractuel (paiement des séances) ;
4. modalité d’intervention (essentiellement verbale libre) ;
5. 
confidentialité, secret ;
6. la règle d’abstinence (refus de répondre à la place, de se mettre à la place où le patient souhaite mettre l’analyste dans le transfert) ;
7. la règle de neutralité (aucun jugement, aucun conseil, aucune directive).

Le cadre analytique est énoncé au départ, rappelé si nécessaire, et constamment « pensé » par l’analyste. Celui-ci en garantit le repérage spatio-temporel et la continuité, le droit à l’énonciation libre et protégée ou séparée des interventions extérieures ; il garantit aussi que l’adhésion au projet puisse être remise en question par le patient. Le cadre se pose, au départ, comme préoccupation explicite : il devient ensuite implicite, il est intériorisé, comme une instance psychique, et ne redevient explicite que dans les moments de rupture ou de crise du processus. »

Retenons la suite, toujours au sujet de ce fameux cadre  :

« - Anzieu l’a comparé à un « contenant maternel » : dans cette enveloppe protectrice, élaborée et garantie par le thérapeute qui a, dans ses termes, le rôle « d’une seconde peau psychique, les pensées du sujet peuvent se déployer » et l’excitation, qu’elle soit d’origine interne ou externe, est limitée dans ses effets désorganisateurs.

Laplanche le compare à une sorte de « membrane, à double paroi, ou double limite, l’une représentant les conditions de la réalité extérieure [protectrice], l’autre tournée vers le monde psychique interne, avec ses exigences pulsionnelles [comme un écran où se projettent les représentations du sujet].» 

Bleger le considère comme « une institution dépositaire de la relation symbiotique avec le corps de la mère », condition fondamentale donc, qu’il propose d’analyser.

Insistance est ainsi faite sur le caractère enveloppant et rigoureusement garanti du cadre. Au fond, nous n’aimons pas le mot « cadre » ; « enveloppe » serait plus juste»

Voilà, mais "hors enveloppe" ça sonne quand même moins bien.


2- Définitions, merci Robert


- Fantasme, n.m, du grec phantasma, apparition : 
Idée, représentation imaginaire suggérée par l'inconscient ; spécialement en psychanalyse : Production de l'imaginaire par laquelle le moi cherche à échapper à l'emprise de la réalité.

- Transgression, n.f : 1- Action de transgresser une loi, un ordre, un interdit.
2- Avancée lente et relative de la mer due à une remontée du niveau marin, à l'érosion rapide du rivage ou à un affaissement tectonique.

Comme quoi, tout est relatif, même la transgression.