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Newsletter psy et tragicomédie

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Par Andrea L.
28 mars · 5 mn à lire
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Carnet de bord

Pour essayer de vous raconter j’ai cherché mes carnets 

Ceux que je remplissais chaque jour sur le lit à plat ventre
vite et mal j’écrivais pour ne rien oublier 
Chaque jour pendant 9 mois j’ai rempli ces carnets.

J’ai tout relu, tout retrouvé, les dessins les photos, 
celles que je prenais toujours dans le miroir de la salle de bain
ou dans la cour 
Les photos du corps abîmé de la peau élastique 
Celles de mes beaux compagnons désespérés aussi.

Alors tout est revenu

Et l’attente en premier.
Celle des visites
des chères amies qui viennent combler l’ennui,
mélange de plaisir et d’impatience de les voir
partir parce que c’est trop long trop d’énergie.
Celle du plateau-repas qui n’arrive pas
Celle du psychiatre de la psychologue de l’infirmière de l’aide soignant•e qui n’arrivent pas
Attendre on ne fait que ça.

Le pro-to-cole ensuite
Ce mot évidemment
Le protocole c’est les règles alimentaires que tu t’engages à respecter
comme un contrat 
Centre de ma vie là-bas
50g de protéines 150g de légumes 50g de féculents 1 laitage 1 fruit 
Et ça augmente progressivement
C’est rassurant.

Le protocole est établi avec la diététicienne
Toc toc toc je la revois la première fois à la porte de ma chambre
Petite personne pleine d’entrain de joie de vivre aux cheveux blond platine 
J’aime bien son style 
Elle est si jeune, mon âge sûrement
mais quel aplomb quelle assurance, j’ai envie de lui faire confiance.
À partir de maintenant je la suis 
je fais tout ce qu’elle dit.


La gym douce du mardi
09h30 j’entends la voix suave et lunaire de la psychomotricienne 
l’album de Micky Green qu’elle mettait tout le temps au début de l’échauffement  
les mouvements tellement lents,
lever un bras puis l’autre
une force de géant.  
Je vois ses cheveux longs bouclés colorés au henné
orange vif
voleter sur la musique, ses yeux à pattes d’oies, ses gestes délicats.
Ses bracelets thaïlandais et sa phrase préférée
« la société va trop vite, on a le droit de choisir son rythme ».

Mon numéro de chambre oui c’est ça 
trois-cent-trois
La machine à café t’as pas un peu de monnaie ?
La fois où j’ai pleuré et fait tous les étages
pour trouver un Kiri
Les visites de ma mère « j’en peux plus de vos maladies »
Ou mieux celles de mon père « t’as pas un peu grossi ? »

Ici c’était sa place à lui
Cette clinique sa résidence secondaire
Il y venait plusieurs fois par an pour arrêter de boire, il disait « se reposer »
Pendant 9 mois à cause de moi il a été très fatigué 

Tout le monde le connaissait
c’est vous la fille de T. ? 

Cette fille super bizarre qui m’avait abordée
- Tu serais pas la sœur de Princesse Léia ?
- Pardon ?
- Princesse Léia, c’est ta sœur ? Je l’ai rencontrée à Sainte-Anne vous avez le même nom.

Le monde psychiatrique aussi est un village
Ici ma sœur était une star de cinéma.

Gilbert l’agent de service hospitalier qui déposait le déjeuner 
en me racontant la Martinique,
Lucie l’infirmière de jour, bon elle arrive ou quoi je voudrais descendre fumer 
C’est possible de pousser plus lentement un chariot de médicaments ?
Bernadette l’infirmière de nuit un peu méchante que tout le monde détestait 
elle me faisait marrer,
les étudiantes en stage : Line en reconversion qui prenait ma tension 
souvent elle paniquait ohlala c’est très bas 
je vais prévenir le docteur il passera tout à l’heure, 
Laurette bébé lesbienne qui venait parfois faire un baby-foot avec moi 
j’avais pas trop le courage elle avait pas trop le droit.

Les psychiatres tous des hommes bien habillés
l’air satisfait
Celui au regard de vieux vicelard j’avais dit non je veux pas le voir
L’autre archi blasé clairement là pour le blé
Le mien je l’aimais bien
Je le lis dans mes carnets
« il va tellement me manquer »

Et les autres 
Tous les autres 
Communauté cachée 
Ensemble de l’autre côté 

Jean 65 ans, dans la cour immobile à fumer ou pleurer.
Jean était acteur, en dépression depuis qu’on ne l’appelait plus pour jouer.
Toutes les petites ano le consolaient lui répétaient ça va aller.

Farid, la quarantaine bien déprimée.
Il savait pas ce qu’il foutait là, il trouvait la bouffe dégueulasse
alors il sortait s’acheter des huîtres il adorait
Il les gardait au frais sur le rebord de sa fenêtre qui s’ouvrait pas en entier putain ça l’emmerdait

Ariane la grande bourgeoise qui riait fort comme les femmes de son genre.
Elle nous parlait de ses vacances au Maroc, de son mec et du petit resto que personne ne connaît.
Je pensais qu’elle était là pour « burn out » mais non en fait Ariane elle buvait seule ses deux litres de champagne par jour juste avant d’arriver
Chez elle partout elle cachait les bouteilles ça faisait peur à son fils elle en était pas fière.

Christian gentil Christian, il était bipolaire, quand il était en crise
il faisait des grands schémas dans l’air
avec ses bras pour expliquer tous ses projets
la grosse moto qu’il allait acheter tu sais et enfin se barrer.
Moi je découvrais je pensais que tout était vrai. 

Maxime parlait beaucoup après le déjeuner surtout
je comprenais rien, sans jamais m’écouter jusqu’à me confier 
j’ai fait venir mon dealer dis rien steplait
Antoine et Charlotte les plus jeunes
18-19 ans ils sont où vos parents ?
Ellie et sa colère 
Elle voulait pas être ici elle disait c’est la faute de ma mère 
Je l’entends encore hurler 
ils m’ont pris tous mes câbles les enfoirés
ils ont peur que je me tue c’est eux que je vais buter

Toutes les sondées 
Regroupées au 5ème l’étage de la pesée
Maumau et Martine mes copines
De temps en temps on s’enfermait dans les toilettes
pour fumer des clopes en cachette tranquilles comme des gamines

Tout est revenu
Jamais parti 
Neuf mois de souvenirs
La colère la honte la tristesse partagées
La solidarité 

Il y a une chose 
Une chose que j’avais oubliée 
que je redécouvre dans mes carnets : 
la peur de sortir 
le huis clos rassurant

Prise en charge en entier
La terreur de l’après.


On va s’arrêter là pour aujourd’hui,
On se revoit dans quelques semaines (juste après les vacances scolaires) ?


Andrea


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Psychologie de comptoir

(*Je ne suis pas psy ! Si ces sujets vous intéressent, je vous invite à creuser.)

1Les troubles bipolaires

Employée à toutes les sauces et souvent à mauvais escient, la bipolarité, autrefois appelée psychose maniaco-dépressive, fait partie des troubles de l’humeur. C’est une maladie assez fréquente qui apparaît le plus souvent entre 18 et 25 ans et touche entre 1 et 2,5% de la population française.

Les troubles bipolaires se caractérisent par une alternance de périodes d’exaltation de l’humeur, avec augmentation de l’énergie (phases “maniaques” ou “hypomaniaques”) et de dégradation de l’humeur (phases “dépressives”), reliées par des périodes où l’humeur est stable.

Les symptômes ont une intensité, une durée et une fréquence qui varient d’une personne à une autre, c’est pourquoi on parle aujourd’hui de “spectre bipolaire”. On parle aussi de troubles bipolaires de type 1 et de type 2. Selon le Vidal

“Le trouble bipolaire de type 1 se caractérise par un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes accompagnés ou non d'épisodes dépressifs majeurs. Le trouble bipolaire de type 2 associe au moins un épisode dépressif majeur avec une hypomanie.”

L’hypomanie est une forme atténuée de l’état maniaque qui ne perturbe pas trop la vie quotidienne, ce qui rend le diagnostic souvent difficile à établir et à accepter. Par ailleurs, de nombreuses années peuvent séparer l’épisode dépressif majeur d’un unique épisode hypomaniaque. Le soutien des proches est d’autant plus essentiel qu’ils peuvent aider à identifier une période d’hypomanie (ou de manie), souvent vécue comme agréable et non problématique par la personne concernée.

Les traitements régulateurs de l’humeur (thymorégulateurs) destinés à prévenir les rechutes et à stabiliser l’humeur semblent aujourd’hui efficaces.

2- Le trouble dépressif

Ou dépression, fait également partie des troubles de l’humeur. C’est un trouble courant qui peut toucher tout le monde, à tous les âges de la vie. Selon l’OMS, à l’échelle mondiale 5% des adultes souffrent de dépression. On considère qu’1 personne sur 5 a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie. Le risque suicidaire est important : il concerne 10 à 20% des patient.e.s. (source Inserm), d’où l’urgence de la prévention.

La dépression est plus courante chez les femmes que chez les hommes et touche 10% des femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher. De plus, on peut faire un unique épisode dépressif dans sa vie, ou plusieurs, de façon récurrente.

Non l’état dépressif n’a aucun rapport avec un manque de volonté. 

Les symptômes du trouble dépressif sont nombreux : sentiment de tristesse profonde, de vide, irritabilité, idées suicidaires, perte de la capacité à éprouver du plaisir ou de l’intérêt, perte d’appétit, fatigue intense…. Il ne s’agit pas d’une simple fluctuation de l’humeur. Dans le cas d’un épisode dépressif caractérisé, l’humeur dépressive est présente pendant une grande partie de la journée, tous les jours et pendant au moins deux semaines.

Les psychothérapies sont les premiers traitements de la dépression, et selon les cas, les antidépresseurs peuvent être utiles et efficaces.

Si vous vous inquiétez pour un.e proche ou pour vous-même, parlez-en à votre médecin ou à une personne de confiance. Vous n’êtes pas seul.e.


Vous devriez consulter

Un espace pour vos récits. Écrivez-moi, je réponds toujours. Un témoignage est publié dans chaque Newsletter. Vous pouvez bien sûr être anonyme (et ainsi choisir le pseudonyme de vos rêves).

Un psy sans voix, le témoignage de Frédérique

Chère Andrea,

Je connais mon psy depuis 30 ans, il a été mon père de "substitution" après le décès de mes parents quand j'avais 30 ans, il m’a beaucoup aidée. Après une pause de 15 ans je l’ai revu récemment.

Il m’a dit que je parlais trop ! Il n'est pas le seul à me le dire, hélas, mais venant de lui ça m’a blessée. Je lui ai dit, ça l’a laissé sans voix.

Il a vieilli lui aussi. Il est peut-être fatigué ? J'ai arrêté les séances mais il n'est pas impossible que je les reprenne un jour.


Pour aller plus loin 

1- “Je suis une et toutes les femmes. Je suis celle qu’on a fait passer pour folle et qu’on a enfermée”, premiers mots du documentaire qu’Ovidie consacre à Valerie Solanas. J’ai tout de suite su que ça allait me plaire. Dans J’ai tiré sur Andy Wahrol - “Scum Manifesto” (Arte), on découvre la vie de cette féministe radicale et les nombreuses violences qu’elle a subies tout au long de son existence, y compris en hôpital psychiatrique. On décrypte alors mieux la violence et la radicalité de son Scum Manifesto, prônant l’éradication des hommes (tout simplement). Un beau documentaire.

2- Cette semaine j’ai écouté une émission super intéressante Pour une psychanalyse féministe (des Midis de Culture, France Culture). Sylvia Lippi, psychanalyste, et Patrice Maniglier, philosophe, proposent de réinvestir le champ de la psychanalyse avec le concept de sororité, en pensant les femmes indépendamment des hommes. Et pour cela, référence est faite… au Scum Manifesto.


PS : si cette Newsletter vous plait, n'hésitez pas à la partager et à m’écrire ! Je serais ravie d'échanger avec vous.

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