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Newsletter psy et tragicomédie

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Par Andrea L.
25 avr. · 5 mn à lire
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Hors cadre 2/2

Finir en beauté

Septembre 2016
Il est temps de sortir d’ici. 
Je peux pas dire que j’en ai très envie, 
en neuf mois j’ai tout désappris.
Ouvrir mon courrier, est-ce que je vais y arriver ?
Je flippe carrément.
Heureusement une sortie d’hospi ça se prépare, avec le psy.
Plusieurs semaines à l’avance il commence :
Avez-vous 
un travail 
un logement 
une famille qui vous attend ?

Pour sortir en sécurité mieux vaut cocher toutes les cases. 
Bonne élève, je m’applique, j’obéis.

Je commence à faire mes adieux, on se dit pas à bientôt, j’offre des chocolats à toute l’équipe, des bons qui coûtent cher ils ont l’air content. Je dis merci pour tout, souvent.
À mon psy j’offre un livre de Duras que j’adore, La maladie de la mort. Il est pas sûr de pouvoir accepter, j’insiste, il dit ok. Il le lira jamais, lire c’est pas trop son genre.
À tous•tes mes camarades je dis on reste en contact hein on se retrouve dehors. 

Je mens, la plupart je veux pas les revoir.

Quelques jours avant mon départ je me sens pousser des ailes.
Après ce que je viens de vivre tout est possible, qu’est-ce qui pourrait être pire ?
Yolo je vais faire un truc dont j’ai toujours rêvé, un grand projet : déclarer ma flamme à une psy,
c’est maintenant ou jamais. 
Ultime transgression mille fois fantasmée.
En plus un psy m’a dit un jour ça m’a marquée « il y a énormément de mariages entre psys et patient•es, c’est tabou évidemment » alors je peux bien tenter qui sait. 
Sans parler de la fille dans la chambre à côté qui m’a montré les sextos que son psy lui envoyait,
je me suis dit wah la chance toute émoustillée. 

Mes copines elles savaient, entre nous c’était une blague, un défi :
avant de partir je le ferai je vous jure je lui écrirai.

Cette psy c’était pas la mienne, elle était juste de garde. Pas là souvent, seulement le week-end de temps en temps.
Les psys de garde on les reconnaît à leur regard super blasé. Je comprends attends pendant que leurs collègues de la semaine se la coulent douce dans leurs cabanons percherons, c’est eux qui se tapent la tournée des zinzins merci bien. Ça doit être payé double au moins.
Nous on leur raconte rien, on demande à les voir parce qu’on est obligés si on veut avoir la permission d’aller se promener. 

La première fois que je l’ai aperçue dans un couloir j’ai cru que c’était une nouvelle arrivante, elle nous ressemblait franchement.
La trentaine les cheveux en bordel, une démarche nonchalante, un petit style négligé,
je l’ai tout de suite adorée.
Quand elle a finalement frappé à ma porte et qu’elle s’est présentée, bonjour je suis le docteur P., mon cœur a chaviré. Faut dire que ça faisait longtemps que je l’avais pas senti palpiter.

Mes copines comprenaient pas, elles la trouvaient bizarre, à la masse et cracra.
Elles me prévenaient dès qu’elle était là, j’allais l’attendre dans ma chambre comme si de rien n’était, plutôt à mon bureau, sur le lit jambes croisées ? Non c’est pas naturel, tiens un livre c’est parfait

Dernier week-end avant mon départ donc, j’écris sur un bout de papier un truc du style
« je sais que ça ne se fait pas mais j’aimerais vous revoir + mon numéro griffonné ».

L’écriture est rapide c’est fait exprès, qu’elle me sente quand même détachée.
Je glisse la lettre dans une enveloppe et je patiente longtemps, plus seule que jamais.
Dimanche à la con, tout le monde est de sortie.

Elle arrive enfin je suis toute agitée.
On échange quelques banalités, questions habituelles pour les psys du week-end. 
Bon tout va bien ? Vous voulez une permission c’est ça ?
Oui oui très bien merci d’ailleurs vous savez je sors dans quelques jours, je voulais vous dire au revoir 
et puis vous donner ça
Je lui tends l’enveloppe, elle est surprise
même touchée on dirait
elle dit oh c’est gentil et s’apprête à l’ouvrir 
Un non un peu trop vif m’échappe 
et l’arrête net
pour plus tard

Elle repart
je suis soulagée : je l’ai fait. 

Les filles elles vont halluciner, total respect.
Dans la cour on chante on rit beaucoup de ce geste fou,
Le vent souffle sur les plaines de la Bretagne armoricaine
Je leur répète en dansant vaguement non mais je m’en tape je la reverrai jamais
t’as pas une clope mon chou ?

J-4 avant mon départ, prévu jeudi.
J’ai des perms tous les jours, je rentre chez moi la journée pour m’habituer, je retourne à la clinique à 18h pour le dîner.

Mardi 17h50 à peu près, j’arrive l’esprit léger, les portes automatiques m’accueillent avec gaité,
cling la jolie sonnerie résonne derrière moi presque pour la dernière fois.
Saut de chat pas chassé jusqu’à l’ascenseur, je passe mon badge, étage trois. 

Les portes se referment, l’ascenseur ralentit plus vite que prévu, premier étage, je vais tous me les taper comme d’hab c’est pas grave je serai bientôt loin de tout ça. 

Les portes s’ouvrent
je tombe
nez à nez 
avec docteur P.
C’est pas possible qu’est ce qu’elle fout là en pleine semaine pitié pas ça 
J’ai le temps de penser
- à la trappe d’évacuation si seulement je savais faire une traction
- à mon pouvoir de liquéfaction, concentre-toi Andrea disparais
Rien n’y fait, je suis toujours là.

Elle entre dans l’ascenseur hyper gênée ça se voit.
Je baisse la tête au plus bas, je me cache sous ma mèche, les portes se referment
deux étages en enfer
J’ai les oreilles qui sifflent, plus on monte plus je rougis je suis rouge cramoisi je sens ma tête qui va exploser comme dans les dessins animés 
J’entends au loin sa voix étouffée 
J’ai lu votre lettre Andrea, vous imaginez bien que c’est une lettre à laquelle je ne peux pas répondre.

Je marmonne oui oui désolée je regarde mes pieds 
Troisième étage au revoir je suis enfin libérée 
Je cours dans ma chambre je pleure comme un gros bébé. 
Prise la main dans le sac, l’humiliation d’une enfant grondée.

Conclusion et conseil d’amie : ne JAMAIS écrire de lettre d’amour à un•e psy.
Fantasme : oui
Ascenseur : non

J’ai retenu la leçon.

Malgré tout je repense à elle parfois, je m’imagine la croiser au comptoir d’un café, dans un train, au supermarché. Elle me verrait avec mon poids normal, ma femme et mes enfants, elle me verrait heureuse, dans son camp, pas malade. 

Et elle se dirait : elle est quand même pas mal.

On va s’arrêter là pour aujourd’hui,
On se revoit dans deux semaines ?


Andrea


PS : Pour retrouver les précédents épisodes de la Newsletter, comme Hors cadre 1/2 ou Carnet de bord, vous pouvez consulter le blog, ou Kessel.

Dans la courDans la cour


Psychologie de comptoir

(*Je ne suis pas psy ! Si ces sujets vous intéressent, je vous invite à creuser.)

1Psy et patient·e, passage à l’acte

Hors cadre, palme d’or. Quand j’étais en formation d’art-thérapeute à Sainte-Anne (une autre histoire), c’est un prof psychiatre qui nous avait parlé de ces fameux mariages entre psys et patient·es, beaucoup plus fréquents que ce qu’on pouvait imaginer. Alors qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mythe ou réalité ? Est-ce qu’on peut vraiment pécho sa/son psy ? J’ai tenté quelques recherches sur les internets mais rien n’est sorti de bien croustillant, si ce n’est des forums du type Ma femme est sûrement amoureuse de son psy ou des articles Je suis sorti avec ma psy et je ne recommande pas l’expérience.
Il faudrait peut-être que je me penche sur le darknet.

Rien de bien concluant évidemment, puisque le sujet est tout à fait tabou. Il ne concerne d’ailleurs pas que les psys mais les soignant·e·s en général, et finalement toutes personnes ayant sur une autre une position d’autorité. J’ai toutefois trouvé intéressant cet article de Cairn,
Le “désir du psychanalyste” et ses passages à l’acte
par Patrick De Neuter. Sans surprise, au-delà d’évoquer le silence problématique autour de ce sujet au sein du monde psy* et sa récurrence, Patrick De Neuter explique à quel point ces passages à l’acte, qu’il appelle “accidents des transferts”, sont dommageables, voire dangereux pour les patient·es. Il conclut :

Quant aux institutions psychanalytiques, et toutes les autres d’ailleurs dans lesquelles de tels passages à l’acte se produisent, n’auraient-elles pas avantage à ne pas fermer les yeux sur ces dérives qui perturbent ou rendent impossible la poursuite de la cure et qui, de surcroît, discréditent leur pratique clinique dans son ensemble ? Ne devraient-elles pas au contraire donner plus de place dans leurs formations à ces risques de débordements de l’amour et du désir, inhérents aux diverses pratiques psychanalytiques et de psychologie clinique ?

Rabat-joie, mais juste.

2- La Maladie de la mort

Si vous aimez Duras et que vous n’avez pas encore lu La Maladie de la mort, vous avez de la chance, vous allez pouvoir le découvrir. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme enfermés dans une chambre.
C’est l’histoire d’un amour impossible, comme toujours chez Duras.
Vous trouvez ça bizarre de l’avoir offert à mon psy ? Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

Alors ils attendent, dans ce lieu de théâtre où seule l’ombre de la mer rompt avec l’immobilité qui les étreint, cette mer noire qui bouge à la place d’autre chose, de vous et de cette forme sombre dans le lit

Sublime.


Vous devriez consulter

Un espace pour vos récits. Écrivez-moi, je réponds toujours. Un témoignage est publié dans chaque Newsletter. Vous pouvez bien sûr être anonyme (et ainsi choisir le pseudonyme de vos rêves).

Dans la vraie vie, le témoignage de Dorothée

J’ai croisé ma psy dans la rue l’autre jour.
Elle était en famille et avec son chien. Ça m’a rendue complément bizarre.
J’étais toute rouge, je voulais faire demi tour pour ne pas qu’elle me voie dans la vraie vie, surtout pas, et en même temps je voulais la regarder dans sa vraie vie à elle, essayer de voir des différences avec son attitude en séance. Mon cœur battait la chamade.
Absurde. Ça fait ça à tout le monde ??


Pour aller plus loin 

1- Cette semaine, j’ai écouté Au procès des folles, premier volet que Charlotte Bienaimé (Un Podcast à soi, Arte Radio) consacre à Psy et féminisme, sujet ô combien essentiel à traiter. Dans cet épisode, Charlotte Bienaimé met en lumière la façon dont les femmes victimes de violences peuvent être maltraitées au cours de leurs démarches juridiques contre leurs ex conjoints, et cela par des expert.es psy* qui remettent en doute leur parole, les rendent responsables de la situation en faisant bien mauvais usage des théories psychanalytiques.

 Cet épisode décrypte le processus de psychologisation de la violence (des victimes, mais aussi des agresseurs) qui permet de mieux l’occulter.

Absolument à écouter.


2- Comment soigner dans une institution malade ? C’est la question que l’on se pose en regardant le documentaire
Etat limite (Arte) réalisé par Nicolas Peduzzi. On y suit le docteur Jamal Abdel-Kader, seul psychiatre pour tout l’hôpital Beaujon, à Clichy. Il court de service en service, dévoué corps et âme à ses patient.es, à son métier, qu’il tente de pratiquer au mieux malgré les impératifs de rendement et son propre épuisement. Terrible témoignage de l’effondrement de l’hôpital public. Un film important.

PS : si cette Newsletter vous plait, n'hésitez pas à la partager et à m’écrire ! Je serais ravie d'échanger avec vous.

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